NIGERIA, LE RETOUR



Mon retour au Nigeria est assez similaire au premier voyage sauf que cette fois, je sais ce qui m'attend. J'ai l'impression d'avoir passé l'épreuve initiatique qui me permet de faire partie d'un groupe à part entière et de parler le même langage. Enfin j'arrive à participer et comprendre les conversations à table, enfin on arrête de me dire à tout bout de champ : "tu verras comme c'est dur le centre.". Aujourd'hui j'ai prouvé que j'ai le droit d'être parmi eux et ils m'acceptent non pas comme une femme mais comme une ingénieur.
Ils poussent parfois la plaisanterie un peu loin. Quand nous donnons une soirée avec les clients et leurs femmes, au moment du repas le serveur annonce : "mesdames, le dîner est servi" et mes collègues me disent régulièrement : "mais non, Magali, ce n'est pas pour toi, tu es une ingénieur !" Est-ce vraiment un compliment ? Il est vrai que je me sens beaucoup plus proche d'eux que de la majorité des femmes d'expatriés avec qui les sujets de conversation communs sont très limités.

Peu de temps après mon arrivée, le chef de base me convoque pour me souhaiter la bienvenue et me définir les objectifs à venir. Il détient mon appréciation du centre de formation et s'il ne commente pas sur mon manque de féminité, il se croit obligé de me faire un cours de morale sur l'importance de l'organisation dans notre métier. Il me dit tout cela derrière un immense bureau, entièrement recouvert de papiers avec juste assez de place pour écrire. J'arrive à grand peine à me retenir de rire et lui promet de suivre son exemple scrupuleusement.
Par la suite, complètement débordée, j'apprendrai les bienfaits de l'organisation et je deviendrai une experte.

J'attaque maintenant la troisième phase de la formation qui consiste à travailler en doublé avec un autre ingénieur (mon tuteur) jusqu'à ce que je sois capable de voler de mes propres ailes, après avoir passé le test final. Cette période durera à peu près quatre mois, puis nous retournerons quelques semaines à Parme peaufiner nos connaissances, et alors seulement aurons nous le droit à l'appellation de FE (Field Engineer = Ingénieur Terrain) et non plus de Trainee (Apprenti) qui me colle à la peau aujourd'hui.

Mon tuteur est Indien et s'appelle Elias. Je m'entends tout de suite très bien avec lui.
Il a une mémoire prodigieuse et se souvient mieux que moi de ce qu'il a apprit au centre de formation il y a cinq ans alors que je viens de le quitter.
Travailler avec quelqu'un de ce niveau force à une certaine humilité devant sa connaissance évidente du métier.

A chaque ingénieur est assigné un rig qu'il suit en permanence, il ne lui est infidèle que pour remplacer un autre ingénieur en congés. Le sien s'appelle Trident VI, nous y allons une semaine après mon arrivée. Ce rig appartient à une compagnie française et une équipe de cinq Français se trouvent à bord pour en assurer le bon fonctionnement.
Mon arrivée a son petit effet, comme d'habitude, mais cette fois je me sens beaucoup plus sûre de moi car je suis ici pour effectuer un travail que je connais et je suis une professionnelle bien que non confirmée.
Ils me donnent une chambre individuelle, la seule à bord, réservée aux invités importants et je partage la salle de bain du patron.

Après deux jours, une personnalité monte à bord. Dilemme.
Le boss refuse que je couche dans une chambre mixte, bien que je lui assure n'y voir personnellement aucun inconvénient. Je suis donc obligée de rentrer à terre le soir et de ne revenir que le lendemain matin alors que nous sommes supposés commencer à travailler dans la nuit. Mes protestations n'y changent rien. De toutes façons, il sait très bien qu'Elias n'a pas besoin de moi pour commencer. Je suis en rage mais obligée de m'incliner.
Au deuxième voyage, la nouveauté commence déjà à s'effriter et deux mois plus tard, je reviendrai quand Trident VI sera plein et je devrai partager ma chambre avec trois hommes.

Je mène une vie à peu près semblable aux autres à quelques exceptions près. Je lave mes sous-vêtements à la main car le blanchisseur refuse de les toucher. J'exige qu'ils changent de vidéo quand je rentre dans la salle de repos et qu'ils regardent un film que la décence m'interdit de décrire ici (ce qui arrive régulièrement). Je peux faire une sieste bronzette sur le hélideck (aire d'atterrissage de l'hélicoptère) mais habillée de la tête aux mollets alors que les hommes s'exhibent volontiers. Du moins, ils gardent leurs sous-vêtements le premier jour mais retrouvent leur habitude de nudité dès le troisième.

J'imagine que le refus de toucher des sous-vêtements féminins est dû à une sorte de superstition.
Ce qui entraîne des situations cocasses comme la fois où le chef du rig pénétrant dans ma chambre se retrouva le nez dans mes soutiens-gorges. Aux dernières nouvelles, il ne s’en serait toujours pas remis. Un autre jour où j'avais oublié mes petites culottes en train de sécher sous mon lit, l'ingénieur qui prit la relève les mit dans un sac en plastique et demanda à un de nos aides, quelqu'un de bien éduqué, de les ramener en ville, lequel refusa catégoriquement.

Mais en contrepartie, ils sont tous aux petits soins avec moi et mes désirs sont presque toujours des ordres.
Dans l'ensemble, ma vie est plutôt agréable à bord ; j'ai pris l'habitude de ces têtes qui se tournent et des conversations qui s'arrêtent à mon arrivée dans le restaurant.
Au troisième voyage, Elias est obligé de rentrer en ville, appelé sur une autre plate-forme. Nous n'avons pas tout à fait fini mais la partie restante est mineure et ne devrait pas poser de problème, même pour une novice.
Je l'accompagne jusqu'à l'hélicoptère et reviens à notre unité de travail légèrement angoissée par les nouvelles responsabilités qui m'incombent. Mais surtout, pour la première fois, je me retrouve seule à bord sans la protection de mon tuteur.
Environ cinq minutes plus tard le téléphone sonne et un des travailleurs me propose de faire un peu mieux connaissance maintenant que mon confrère est parti.

Très calmement, je lui réponds que je vais raccrocher le téléphone et oublier cet appel mais que si cela se renouvelle ou s'il tente d'autres approches à mon égard, je me verrais dans l'obligation d'en informer le chef de la plate-forme et de m'assurer du renvoi immédiat de l'importun.
Les nouvelles vont vite dans cet univers clos où tous cohabitent plus ou moins heureusement et je ne devais plus jamais recevoir de propositions similaires de mon temps au Nigeria.
Une jeune stagiaire vient passer un mois avec nous. Après quelques jours elle part sur le rig pour un voyage initiatique. A son retour elle me raconte qu'elle recevait une moyenne de trois à quatre lettres d'amour quotidiennes. Elle est ne ressemble pas à quelqu'un qui a l'habitude de reçevoir ce genre de courrier à cette fréquence, mais par gentillesse, elle n'a pas osé repousser avec fermeté les avances des travailleurs de la plate-forme et ils ont pris cette attitude pour un encouragement. Heureusement que son séjour est de courte durée car ce genre de situation peut rapidement devenir intenable et entraîner des quiproquos difficiles à résoudre.
Je n'ai jamais eu à souffrir de cela mais il faut dire que ma gentillesse naturelle est enfouie sous une large dose de cynisme.

Le reste de la mission se passe sans autre incident et je redescends en ville trois jours plus tard, fière d'avoir réussi cette première qui passe complètement inaperçue auprès des ingénieurs chevronnés.
En dehors du travail, une sorte de routine commence à s'instaurer. Tous les soirs, à la sortie du travail, nous allons boire un verre dans un bar local qui s'appelle le "Beach Comber" ; nous faisons maintenant tellement partie du décor que nous amenons régulièrement nos propres cassettes de musique (l'ère du C.D. n'est pas encore parvenue jusqu'ici). Il n'est pas rare de voir de jeunes hurluberlus en bleu de travail et bottes de sécurité en train de se déchaîner sur un rock endiablé.
Une femme en bleu de travail se fait toujours remarquer mais encore plus si elle est blanche et en train de danser dans un petit bar local au fin fond de l'Afrique.
Après l'apéritif, nous rentrons au camp nous rendre présentables, c'est pour moi l'heure du bain et d'une demi-heure de relaxation totale pendant laquelle j'arrive à oublier où je suis. Je fais parfois quelques efforts de maquillage, quand nous sortons, mais continue à m'habiller de manière assez masculine. Ah, ces relents d'école d'ingénieurs, où le jean est quasiment obligatoire, ont du mal à s'estomper.

Puis dîner dans la salle commune où nous nous retrouvons régulièrement à une dizaine et où l'ambiance est si bonne que nous sortons rarement de table avant 10 heures.
Le reste de la soirée se termine soit tranquillement au camp à jouer au billard entre nous, soit, plus fréquemment, en sortie au bar puis à la boite de nuit locale, lieu de rencontre privilégié des expatriés en recherche de compagnie féminine ou pas. Nous maintenons ce rythme de vie grâce à de fréquents voyages sur la plate-forme où les sorties sont inexistantes et l'alcool interdit ce qui permet de rattraper le sommeil en retard et de se refaire une santé.

Je commence à nouer des liens assez complexes avec les autres ingénieurs. Je suis une des leurs au travail, mais je suis une femme, donc semblable à ces jeunes filles qui alimentent régulièrement nos conversations à table, pourtant je suis un être pensant, ce qui peut paraître légèrement surprenant venant du sexe faible.
Rapidement ils se rendent compte que je ne m'émeus pas spécialement des allusions fréquentes et en termes parfois assez précis aux relations qu'ils entretiennent avec le beau sexe. Ils prennent donc de plus en plus de libertés verbales devant moi et en arrivent à complètement oublier ma présence dans leurs conversations.
Cependant, ils se tournent également parfois vers moi pour un conseil pratique sur l'attitude à adopter avec la femme de leur rêves. Ou du moins des rêves du moment.
Je suis donc la petite sœur qu'il faut protéger pendant les sorties, l'égale au travail et la maman qui donne des conseils. Autant dire que cette situation compliquée ne m'aide pas à résoudre mes propres problèmes existentiels de définition de personnalité.

Pour ne pas simplifier la situation, un des ingénieurs devient mon petit copain. Il ne s'agit pas d'une histoire d'amour avec le grand A mais d'une petite histoire sympathique avec quelqu'un qui me plaît bien. Cet homme est d'Afrique du Nord et il s'avère rapidement que nous n'avons pas du tout les mêmes conceptions de la vie en général et de la place de la femme dans la société en particulier.
Puis j'apprends un jour que cet homme délicat profite de mes absences pour ramener régulièrement des jeunes filles que nous appelons ici Bush Baby et qui, contre faible rémunération, agrémentent les nuits des expatriés esseulés. Je n'apprécie que très moyennement de partager surtout avec des femmes dont l'hygiène n'est pas forcément le point fort et qui peuvent transmettre un certain nombre de maladies dont je ne veux pas me faire la dépositaire. Je provoque notre rupture.
Est-il finalement plus sentimental qu'il ne le paraît ou est-il vexé de ne pas avoir pris l'initiative, toujours est-il que le voilà transformé en amoureux transi, à faire le siège de ma maison le soir et à informer le monde de son infortune.

Mes collègues ne sont pas des personnes compatissantes pour les problèmes de cœurs brisés ayant chacun une fiancée abandonnée ou qui les a abandonnés de retour au pays. Les mésaventures de mon ancien dulciné ne reçoivent que très peu d'écho de leur part et ma réputation ne souffre pas de ce contretemps. Quand il en est à menacer de démissionner car il ne supporte plus de me côtoyer, j'ai alors une sérieuse discussion avec lui dans laquelle je lui explique qu'en démissionnant il n'allait pas me récupérer et serait perdant sur tous les tableaux. Je lui conseille donc de partir en vacances comme prévu initialement et d'en profiter pour réfléchir et attendre son retour un mois et demi plus tard pour prendre une décision.
En conclusion, il rencontra une princesse qui le sauva de la déprime, ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants (cette fin heureuse, sortie de mon imagination, ne m'a jamais été confirmée).
A l'avenir, je tirerai deux leçons de cette aventure, tout d'abord être plus discrète et surtout règle d'or, ne pas mélanger travail et sentiments à fortiori quand il n'y a pas de sentiment.

En dehors de mes collègues, je me suis liée d'amitié avec des personnes rencontrées à notre bar favori. Le fréquentent des habitués qu'on finit par connaître et qui travaillent dans des domaines aussi différents que la construction, les travaux publics, le pétrole..
Et surtout ces jeunes filles que j'appelle les Bush Babies.
Je ne les surnomme pas prostituées, terme communément employé pour les femmes qui font commerce de leur corps, car elles ne sont pas réellement professionnelles. Le but qu'elles poursuivent est de réussir à trouver celui qui leur offrira le mariage et les sortira de leur condition. Les sentiments interviennent donc un minimum dans cette relation et si elles se font payer, c'est plus pour vivre en attendant de trouver la perle rare que pour faire fortune.

Elles sont tout d'abord intriguées par ma présence car les seules femmes blanches qu'elles ont l'habitude de voir sont normalement les épouses d'expatriés qui viennent pendues au bras de leur mari, peu rassurées et craignant peut-être d'être attaquées en plein bar ou de voir l'une de ces jeunes filles embarquer leur mari contre son gré (quoi que).
Moi, je fais partie d'une race à part de femmes qui sont ici parce qu'elles travaillent elles-mêmes. Nous sommes au total une dizaine à Warri dont huit professeurs d'une école primaire hollandaise et une autre ingénieur. Mais elles sortent peu et ne sont pas connues de la faune locale.
Ensuite, elles essayent de découvrir qui de mes collègues est mon compagnon. Puis quand elles réalisent que je suis célibataire et donc compétition potentielle, elles me redoutent et certaines d'entre elles, me jugeant trop menaçante, décident de me jouer quelques tours pendables qu'heureusement on m'aidera à déjouer.
Elles peuvent être très dangereuses et il ne faut jamais jouer au plus fin avec elles car leurs réactions peuvent être complètement imprévisibles. Ainsi un expatrié qui avait menti en prétextant l'arrivée prochaine de sa femme pour provoquer une rupture avec sa compagne habituelle, alors qu'il souhaitait tout simplement changer de partenaire, se retrouva un soir la face découpée superficiellement à la lame de rasoir. Ces jours n'ont jamais été en danger mais il a eu une centaine de points de suture au visage et est maintenant défiguré.

Je suis informée des mésaventures qui peuvent arriver aux imprudents et quand j'apprends que des malveillantes sont en train de faire circuler une rumeur disant que mes relations avec le copain d'une bush baby ne sont pas uniquement platoniques, je prends l'affaire très au sérieux car je n'ai pas du tout envie d'affronter la colère de cette fille dangereuse. Je décide donc d'attraper le taureau par les cordes et vais lui parler directement pour éclaircir ce malentendu. Heureusement qu'elle choisit de me croire et nous devenons les meilleures amies du monde.
Rapidement je fais connaissance avec les plus anciennes d'entre elles qui, ayant somme toute décidé que je n'étais pas une menace, aiment à montrer à leurs conquêtes masculines qu'elles ont la tête suffisamment bien faite pour être copines avec une femme blanche, laquelle ne peut les apprécier que pour leur conversation et non pas pour leurs avantages annexes.

Un jour, je suis avec un camarade et son amie. Il est plutôt papillon habituellement mais semble assez attaché à cette jeune fille. Seul inconvénient, elle n'est pas de Warri. Le territoire de chasse est gardé et dès notre arrivée dans la boite, on sent un certain malaise. Quelques minutes plus tard, nous voyons plusieurs bush babies se diriger vers les toilettes en ôtant leurs bijoux. Ça sent le roussi. Mon collègue me demande d'aller voir ce qui se trame pendant que lui-même prévient la direction. Je me dirige vers les toilettes l'air aussi naturel et dégagé que possible. Toutes les filles sont là, en cercle, la fiancée au milieu. Elles grondent et ce n'est plus qu'une question de secondes.
L'air toujours nonchalant, je me poste délibérément au milieu, aux côtés de la future victime, croisant les doigts et espérant que l'estime que portent mes copines à notre amitié est plus important que la haine qui se dégage actuellement. Elles n'attaquent toujours pas mais me demandent de ne pas me mêler d'une affaire qui ne regarde qu'elles.
Je n'en mène pas large mais j'arrive à temporiser suffisamment longtemps pour permettre l'arrivée de la direction qui vire tout le monde. Inutile de dire que nous sommes rentrés à la base sans demander notre reste.

Paradoxalement, elles me présentent tout nouvel expatrié qui arrive à Warri, ce qui crée parfois des situations assez burlesques avec ces hommes qui se demandent qui peut bien être cette femme blanche tellement à l'aise au milieu de ce groupe de bush babies ; exemple de conversation avec un Anglais au physique de jeune homme de bonne famille:
BB : Bonjour, Lui, je te présente mon amie Magali
Lui : Bonjour.
Moi : Bonjour, comment ça va ?
Lui : Bien et toi ?
Moi : Bien, Merci.
Lui : Tu habites à Warri ?
Moi : Oui, et toi ?
Lui : Oui, moi aussi. Veux-tu rentrer avec moi ce soir ?
Moi : Non, ça ne m'intéresse pas.
Puis après quelques minutes de réflexion et surtout après avoir digéré cette proposition pour le moins irrespectueuse, je me dirige vers Lui qui s'est déjà éloigné.
Moi : Dis-moi, ça fait combien de temps que tu es arrivé au Nigeria ?
Lui : Quatre jours.
Moi : Tiens, c'est bizarre !
Lui : Pourquoi ?
Moi : Normalement ça prend un peu plus longtemps pour devenir comme ça.
Lui, interloqué : Que veux-tu dire ?
Moi : Quand tu es dans un pub à Londres et que tu rencontres une jeune fille pour la première fois, ça t'arrive souvent de lui proposer de rentrer avec toi après trois minutes ?
Lui : Non, mais
Moi : Et que viens-tu juste de faire ?
Et là, Lui réalisant l'énormité de sa bévue commence à bégayer tout en changeant de couleur et s'enfuit aussi vite que possible. Lui passera le reste de la soirée à s'excuser auprès de mes amis et je dois avouer que je prends un malin plaisir à répandre cette histoire dans le cercle des expatriés, surtout à l'occasion des rares fois où Lui sort ; sorties qui se sont rapidement espacées.
Les anecdotes de ce style m'arrivent assez régulièrement mais j'ai appris à prendre la chose avec humour et philosophie et à ridiculiser les auteurs de ces aimables plaisanteries. Je ne me sens pas l’âme d’une justicière mais je pense qu’il est utile parfois de rappeler quelques leçons de savoir-vivre et je suis prête à parier que Lui n’a plus jamais manqué de respect à une femme après cette aventure. Il faut avouer qu'au final ça peut devenir lassant de savoir que ces regards qui me suivent quand je rentre dans un lieu public sont purement dus à ma couleur de peau et que les hommages que je reçois n'ont rien à voir avec ma manière de penser ou ma façon de m'habiller.

Au tout début de mon séjour, j'étais flattée de recevoir tant d'attentions sans en comprendre les raisons véritables, pensant que le fait d'être une femme blanche qui travaille en Afrique, dans un endroit où la force de travail expatriée est très masculine, montre une certaine force de caractère et une tournure d'esprit qui attire ces célibataires. Je réalise rapidement que leur choix se limitant plus ou moins à moi (et quelques neuf autres invisibles) ou aux bush babies, j'attire invariablement ceux qui ont peur d'attraper des maladies avec les filles du coin et ceux qui pensent avoir trouvé en moi la seule personne avec qui ils aient une chance de bâtir une histoire d'amour réelle.
Ces derniers font partie du groupe d'hommes jeunes et célibataires qui se rendent compte qu'ils ont peu de chance de rencontrer l'âme sœur pour fonder un foyer avec de trop brefs séjours au pays et la plus grande partie de leur temps au Nigeria. Quand cette envie de stabilité se fait trop forte et qu'ils regardent autour d'eux, il ne reste quasiment plus que moi. Je n'ai donc pas à me plaindre de propositions malhonnêtes mais plutôt de trop de propositions trop honnêtes allant jusqu'à la demande en mariage et venant de gens qui ont réussi à se convaincre qu'ils sont amoureux de moi car je suis la solution évidente pour conjuguer travail, plaisir et famille.
Je profite un peu de cet état de fait pour vérifier que mon succès est bien réel. Puis après la rencontre passionnelle avec un homme qui ne m'avoua que bien trop tard qu'il était marié, je décide d'attendre calmement l'Elu.

Je sors toujours mais arguant de l'éducation que mes parents ont essayée de me donner avec plus ou moins de succès, je refuse d'adresser la parole à toute personne ne m'ayant pas été présentée officiellement. Je deviens maîtresse dans l'art de renvoyer ces importuns qui essaient d'engager la conversation sous prétexte que je me sois isolée dans un coin du bar pour goûter un moment de tranquillité.
J'observe leur petit jeu, les paris qui sont pris sur qui arrivera à me parler. L'ensemble est plutôt amusant et sans risque car je sors toujours accompagnée de mes compagnons de travail qui pourraient intervenir en cas de problème.


Chapitre 4

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