PARME : CENTRE DE FORMATION



A notre arrivée au centre j'observe mes compagnons. Nous sommes toujours dix-huit. Apparemment ils arrivent tous suffisamment motivés pour tenter de finir la formation.
Le groupe est constitué d'un ensemble de nationalités : italienne, canadienne, américaine, anglaise, française, nigériane, sud-africaine, bolivienne, indonésienne, hollandaise et marocaine. Une population complètement cosmopolite dont le seul point commun est un goût certain pour l'aventure et une grande force de caractère.

Nous nous jaugeons mutuellement et, sachant qu'une partie d'entre nous ne finira pas cette cession, nous ne pouvons pas nous empêcher de supputer les chances des uns et des autres et de soi-même par rapport au groupe.
Mais l'instructeur ne nous laisse pas le temps de mieux faire connaissance et nous avons droit au discours de bienvenue.
Cet exposé n'est pas sans me rappeler celui que j'ai reçu à Warri et un commandant suprême aux pouvoirs infinis nous certifie que nous allons devoir travailler très dur, plus dur que l'imagination la plus folle ne peut nous le laisser présager et que seule une poignée d'élus pourra terminer. Mais ceux-là seront alors capables d'affronter la vie sur plate-forme et toutes les circonstances qui font des ingénieurs terrain des surhommes (et surfemmes ?).
Il conclut en disant que statistiquement une moitié environ d'entre nous sera éliminée avant la fin mais qu'il n'y a pas de nombre limite aux acceptés, nous ne nous battons que contre nous-mêmes !

La formation doit durer environ trois mois et demi, durant lesquels il ne faut pas espérer dormir plus de quatre heures par jour et seul le dimanche après-midi est libre si on a de la chance.
Nous allons étudier un outil de mesure hebdomadaire, lequel outil fait environ trois mètres de long et est constitué d'une succession de cartes électroniques sur deux niveaux.
Chaque semaine nous devrons apprendre par cœur le fonctionnement de cet instrument, les conditions d'emploi, son schéma électronique, le tout validé par un test écrit et une séance pratique au cours de laquelle nous devrons démontrer que nous savons réellement l'utiliser.

La séance pratique se déroule le week-end. Nous devons monter l'équipement au-dessus du puits, puis descendre l'outil, prendre des mesures en remontant et imprimer les logs. Le tout en équipe de 2 personnes (désignée par l'instructeur) et à l'heure donnée, qui peut très bien être au milieu de la nuit. J'attends ces travaux avec impatience, c'est la partie la plus passionnante de la formation, celle qui nous rapproche de la vie qui nous attend.

Puis nous allons investir la maison, qui contient des chambres individuelles ou doubles. Francesca et moi nous installons dans la même chambre, nous espérons ainsi mieux pouvoir faire front.
Francesca a un diplôme de géologie et a peur de ne pas suivre techniquement. Elle est très jolie et toujours avec un sourire ou un mot d'encouragement pour chacun d'entre nous. Elle a rapidement fait la conquête de tous les cœurs du groupe y compris le mien qui lui assure tout mon soutien dans cette épreuve.
A chacun d'entre nous est attribuée une des tâches communes à accomplir quand on partage une maison. Moi-même je suis en charge de faire le camp-boss, en clair de m'assurer que la maison est toujours approvisionnée en nourriture et produits de base, boissons comprises. Quel hasard, cette tâche purement domestique m'échoit, heureusement, je ne suis quand même pas supposée faire la cuisine !
Pourtant, je prends beaucoup de plaisir à mener cette fonction à bien et une fois par semaine je désigne arbitrairement deux gaillards qui vont m'accompagner au supermarché.
Qui n'a jamais fait les achats hebdomadaires pour 18 personnes n'a pas expérimenté de parcourir les allées d'un supermarché, trois chariots de front au pas de course.
Finalement ils sont bien éduqués et serviables tous ces garçons, surtout lorsqu'il s'agit d'aider une pauvre femme dans l'exercice de ses devoirs hebdomadaires (les courses) mais qui ne pourrait pas les accomplir sans l'aide miraculeuse de ces messieurs. Que deviendrait-elle sans eux ?

Le soir, nous nous retrouvons tous régulièrement aux fourneaux et il faut admettre que les hommes y sont les maîtres incontestés !
Nous commençons les cours sur les chapeaux de roues et dès le début, Francesca a des problèmes. Le seul moyen de s'en sortir est de comprendre pendant le cours et de réviser le soir, nous n'avons pas assez de temps pour essayer de tout apprendre le soir. Mais Francesca est rapidement perdue et je passe une bonne partie de mes soirées à lui expliquer pour l'aider à passer les tests au-dessus de la moyenne fatidique et éliminatoire des soixante-cinq pour cent.

Les deux premières semaines se passent bien, Francesca arrive à passer les examens non pas brillamment mais avec un résultat suffisant pour ne pas être renvoyée.
L'ambiance est excellente du moins entre les hommes et Francesca qui fait partie intégrante de leur groupe. Il faut dire que ça valorise cette femme en difficulté qui vient gentiment vous demander de l'aide et qui vous permet de démontrer votre supériorité masculine. Tout de même, c'est bien un métier d'hommes qui, dans leur bonté suprême, vont essayer d'aider ce gentil petit bout de femme.

Moi je leur pose problème. Au début ils ont été intrigués par cette femme qui manie les réparties et les blagues au-dessous de la ceinture aussi bien qu'eux mais rapidement ils sont exaspérés de voir que je n'ai pas besoin de leur soutien pour réussir les examens hebdomadaires et finalement ils sont blessés de réaliser que je soulève les outils les plus lourds avec difficulté, soit, mais sans appeler à l'aide et sans permettre à leur ego bien masculin de prouver que j'ai besoin d'eux.
Cette situation, si elle n'altère en rien mes résultats au centre, me mine le moral car le groupe qui m'est le plus hostile est bien évidemment constitué des plus dynamiques, ceux qui sortent et s'amusent. Toutefois, je garde de bonnes relations avec les premiers de la classe que je trouve profondément ennuyeux.

Le premier à partir est un Français, un bon vivant que tout le monde aime bien, il a eu des problèmes à suivre dès le début et a décidé de se laisser vivre plutôt que de se tuer au travail. Il était toujours volontaire pour sortir se changer les idées. Un jour il a été appelé dans le bureau du directeur pendant un cours et, à la pause suivante, il était déjà parti. Nous ne l'avons pas revu.
C'est un des principes du centre, toute personne qui échoue se fait renvoyer et doit quitter les locaux le plus rapidement possible pour éviter toute amertume ou baisse de moral chez les autres.

Nous verrons ainsi disparaître Howard qui démissionne, nostalgique de sa fiancée, puis Francesca qui finalement a dû décrocher. Je les vois partir avec beaucoup de tristesse, ils étaient mes plus proches amis ici.
De temps en temps quelqu'un est appelé et nous savons tous ce que cela veut dire mais ces condamnations laissent un sentiment de malaise au fur et à mesure que le groupe diminue.
Moi, je me maintiens, je suis dans la moyenne. Mais ici, c'est déjà une performance de tenir.

Le groupe s'entraide et nous arrivons à nous ménager un peu de temps libre avec sorties en boîte de nuit, restaurants, etc.. Le rythme est toujours soutenu mais nous sommes loin des journées de vingt heures de travail promises ; nous passons tout de même quelques nuits à étudier.

Au bout des trois mois, nous ne sommes plus que onze, ce qui, paraît-il, serait une sorte de record et le groupe reçoit les félicitations du directeur pour son esprit d'équipe.
Nous sommes heureux d'avoir réussi mais quelque part nous regrettons presque que ce soit déjà fini, nous avons appris à apprécier la franche camaraderie qui règne dans cette ambiance de travail acharné.

Avant de partir, le directeur nous convoque individuellement pour nous donner ses conclusions sur notre travail et attitude.
En bref, j'ai bien le profil requis, je devrais m'en sortir et réussir ma vie d'ingénieur terrain mais j'ai deux défauts majeurs : je manque d'organisation et je ne suis pas assez féminine.
Je lui demande ce qu'il entend par cela et en quoi est-ce un handicap à ce travail ?
Réponse : " Quand tu arrives sur un rig, tous les travailleurs se font beaux, se rasent et s'habillent de leur plus beau bleu de travail pour te faire la meilleure impression, mais toi, tu as toujours la combinaison la plus sale et ne prêtes aucune attention à ton apparence c'est à dire que tu manques de respect envers eux."

En conclusion, on me reproche d'être comme les hommes sont en mon absence sous prétexte qu'ils changent d'attitude dès que se montre un jupon (c'est une expression car je m'imagine très mal voyager en hélicoptère en jupe pour aller sur une plate-forme où les planchers sont faits de caillebotis, parfaits pour les talons hauts !)
Je lui demande s'il connaît la marque magique d'un maquillage qui résiste à cinquante heures de travail intensif dans la chaleur moite nigériane, sans couler et de la mousse coiffante qui ne souffre pas du casque de sécurité.

Je pensais avoir prouvé que je valais, sinon mieux, au moins aussi bien que les hommes et je suis très déçue de voir que les reproches qui me sont adressés concernent mon manque de féminité dans un milieu exclusivement masculin (ou presque).
Au total, nous sommes trois femmes à travailler sur tout le continent africain, sur à peu près trois cent expatriés.
Nous sommes toutes les trois au Nigeria mais elles sont à Port Harcourt alors que je suis à Warri et nous ne nous rencontrerons jamais. La première est une Française qui a fait la même école d'ingénieur que moi et qui a la réputation d'être une excellent ingénieur avec un très fort caractère. La deuxième est une Marocaine qu'on dit douce et gentille mais également très bonne dans son travail. Deux méthodes complètement différentes qui ont l'air de marcher aussi bien l'une que l'autre. Quelle sera la mienne ?

En attente de visa, j'ai l'occasion de passer une semaine à la maison avant de repartir au Nigeria. Je passe la majeure partie de ce temps à me reposer et à me promener dans Paris.
Je ne cherche pas à retrouver mes amis, mes sensations sont trop violentes et trop récentes pour les partager avec ceux qui n'ont pas vécu cette période de ma vie. J'ai besoin de faire le vide, de me ressourcer au spectacle grandiose des rues parisiennes.


Chapitre 3

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